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De L'opium

Le couteau déjà, comme pour un sacrifice, et le geste toujours identique, répété depuis six mille ans.   
      De la chair candide des capsules incisées par la pointe de la lame jusqu'aux vaisseaux du mésocarpe, lèvres à peine entr'ouvertes prêtes pour un premier baiser de mort, sourdent comme d'un sein de femme quelques perles de lait qui, lentement, coagulent. De la blessure, goutte à goutte, l'offrande du végétal à l'homme. Hypocrite et fatale.
      Elles sont Papaver album.  Grands pavots aux graines blanches. Fleurs de Joie de l'antique Sumer, aussi vieilles que les premiers traits d'écriture gravés dans l'argile des tablettes, aussi âgées que les poignards de lapis de la ville d'Ur. Lotus Blancs couvrant les collines de Thèbes et petites Princesses de Perse déposées dans les traces des chevaux conquérants d'Alexandre marchant vers le lointain Levant. 
      Fleurs, elles sont fleurs, aussi belles que les plus belles.
      Elles sont papaver somniferum qui rendent les hommes aussi forts que les héros, aussi légers que les dieux. Elles sont les fleurs diaboliques, aussi gracieuses que les femmes les plus gracieuses, et que les moines inquisiteurs et fanatiques maudissent, parce qu'elles traînent derrière elles les parfums d'Orient. Elles sont les portes du Paradis qui s'ouvrent aux rêves des poètes écorchés dont elles délabrent le corps et rongent, hydres voraces, le cerveau.
      Elles sont les pavots inclinant leurs longues tiges vers la terre du Bengale, du Bihar et du Malwa qui les nourrit et dont elles tirent leurs reflets sombres. Elles agitent aux étés des tropiques et au vent des moussons leur arrogante beauté. Torpeur et violence dont elles s'enivrent. Et leur suc vénéneux s'abreuve à l'eau des pluies chaudes qui les fripe.
      Elles portent les fruits du soleil dont le lait vermeil malaxé prend les couleurs de la nuit. Alchimie secrète déposant dans la pâte inerte, l'esprit de quelque maléfique démon.

Ils l'appellent opium. Des mains d'hommes en enveloppent les pains dans leurs pétales parfumés. Et  les grands vaisseaux anglais chargés de bibles et armés de leurs redoutables canons, les emportent vers les mers lointaines de l'Empire du Milieu. 
      Elles sont les fleurs de guerre.
      Bouquets funestes déposés par une jeune reine sur les rivages d'un grand  empereur. Gerbes éclatées en mortelles fumées secrétant leur venin au fond des foyers de cuivre des pipes à l'embout de jade. La Chine voit flétrir et mourir lentement ses hommes. Et son empereur, maître suprême après le Ciel d'une terre interdite, disparaître son or.                                                                                                                    Extrait de Les Fleurs de Guerre pages 7 et 8

 

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